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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/249

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En fait d’armes, je n’avais qu’une canne et je ne la cachais pas. Elle ornait visiblement le vestibule.

— Prenez-la, fis-je.

Mais les six fédérés étaient graves.

— Alors, fouillez.

Et ils fouillèrent. J’avais dans un tiroir deux petits pistolets, en bois de citronnier, dont il fallait, pour les décharger, dévisser la culasse, et qui jamais n’avaient connu la poudre ; c’étaient des souvenirs de famille, de simples joujoux d’étagère. Je dois dire qu’ils me les laissèrent, après en avoir constaté l’inoffensivité, mais sous promesse que je me rendrais à l’invitation du citoyen procureur qui avait à me parler.

Je crus deviner ce qu’il avait à me dire et je résolus de ne pas l’entendre. Mon admirateur m’admirait trop. Il n’entrait pas dans ma philosophie de participer à un mouvement qui se payait sans jugements des têtes de généraux désarmés. Je sortis donc et m’en allai droit devant moi, à l’aventure. Une habitude, justifiée par mon commerce, me conduisit chez l’éditeur Lemerre où je rencontrai Anatole France qui y exerçait alors les fonctions de lecteur des manuscrits. Il connaissait, lui aussi, le procureur pince-sans-rire et il me dissuada de rentrer chez moi.

— Le type n’est pas nouveau, me dit-il, et il est dangereux, en somme. C’est un raté très intelligent, qui sait fort bien où il va et qui veut y entraîner avec lui le plus de complices possible. Fichez le camp ou cachez-vous si vos opinions vous le permettent.

Mes opinions me le permettaient, mais non mes