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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/255

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devenait épique sur ses lèvres lippues. C’était une scie militaire qui faisait rouler les gens sous la table. Mais celle que je lui demandais toujours, sans m’en lasser jamais, s’appelait : « L’amant de Thérèse », hymne d’amour admirable, qui commence par ces quatre vers d’anthologie :

La brune Thérèse
A vingt amoureux
Et j’en suis bien aise
Car je suis l’un d’eux !…

Rien de plus beau sur la terre que l’épanouissement de Jocrisse triomphal dont il soulignait la bonhomie de ce quatrain sublime sur son air de cor de chasse. « Et je suis l’un d’eux ». Toute la haute philosophie du partage s’y résumait en ce chant de possession entonné par le vingtième amant de Thérèse, content de son numéro d’ordre et n’en exigeant pas davantage. J’ai souvent envie de le jeter, les soirs de premières, en plein orchestre, aux croyants du culte adultérolâtre, pour les égayer.

Invité à mon tour à payer mon écot par la récitation d’un poème, je m’acquittai de mon mieux de cette dîme de politesse. En général, les poètes sont malhabiles à faire valoir leurs vers. Ils les disent plutôt pour eux-mêmes que pour l’auditoire, comme en dedans, et préoccupés surtout de l’agencement verbal des mots d’où résulte l’harmonie cherchée. En outre, ils accordent au jeu des rimes une importance essentielle et fondamentale qui ne laisse pas que de dérouter les profanes. Quand ils sont bons, les vers gardent toujours quelque chose de leur origine chantée. Le dix-neuvième est le grand siècle des proso-