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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/259

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pincer en délit d’évasion, ou je le rêvais, ou j’étais trahi par ce fumiste de Cadet peut-être et il me le lançait dans les jambes, histoire de rire en ces temps gris.

— Où puis-je me cacher ? fis-je au capitaine.

— Où vous voudrez, fut sa réponse.

Et après une minute de réflexion, il leva du pied la trappe de la soute au charbon.

— Là si vous voulez, mais vous n’y serez pas à votre aise et il faudra vous débarbouiller en sortant.

Chaque homme a dans sa vie un quart d’heure inoubliable. Celui que je passai dans cette cachette absurde, recroquevillé au milieu des minéraux croulants de Mons et de Charleroi, m’a laissé un souvenir dont seul Maurice Dreyfous pourrait rendre la bouffonnerie lugubre ou la lugubrerie bouffonne, à son choix. J’entendais les pas des fédérés sur le pont du chaland, le bruit de leurs crosses de fusils retombantes et la voix du capitaine ; j’avais une envie folle de passer la tête sous la trappe, de jouer le gnome légendaire des mines et de les terrifier par des cris souterrains de « génie du charbon ». Je n’en eus malheureusement pas la force, car je commençais à étouffer dans la soute, et il était temps que le bateau reprît le fil de la rivière. Une fois hors de l’enceinte, je sortis de mon trou comme j’y étais entré, à quatre pattes. Le capitaine se pâmait de rire.

— C’est exagéré, faisait-il, et il était inutile de vous en frotter les mains et le visage. Nous n’avons pas de corbeaux à bord dans la marine fluviale.

Et il m’offrit son savon et sa serviette pour me décrasser.