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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/304

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maison. Il me reste encore comme le type du républicain doctrinaire, revêtu d’austérité, et dépourvu de la faculté de sourire. Si le miel de l’Hymette est déposé sur les bouches des philosophes de ce genre, les abeilles n’y laissent que la cire, car pendant toute une journée la bouche de celui-ci ne se descella pas une minute et mon gai camarade de bohème put croire qu’à Chambéry on a le mariage aussi morne que la Marianne.

Non seulement le contraste était violent entre ce témoin réfrigérant et le poète rayonnant des Jeunes-France, mais encore leur rapprochement ne laissait pas de nous inquiéter un peu. Pierre Lanfrey publiait depuis plusieurs années, chez Charpentier, même, une histoire de Napoléon, où il contestait à l’homme de bronze, je ne dis pas jusqu’à son génie, mais jusqu’à l’intelligence et lui attribuait en sus tous les crimes dont l’ensemble constitue ce qu’on appelle : un monstre. Or, Théophile Gautier, sans être bonapartiste militant, demeurait fidèle au régime qui l’avait honoré et fait vivre. En outre, il était familier de la « bonne princesse », nièce de César, et protectrice déclarée des poètes. À Saint-Gratien, où son pamphlet avait été lu et débattu comme partout ailleurs, car il fit grand bruit, Pierre Lanfrey n’était pas précisément en odeur de sainteté. En outre, il relevait d’une école de stylistes qui justifiait jusqu’à certain point l’annexion de l’Alsace à la Confédération germanique. Ajoutez à cela que le romantique ne sacrifiait pas aux Châtiments l’« Ode à la Colonne » de la légende, ni l’oncle au neveu, et rien du tout aux démolisseurs de gloires.

Il n’y eut pas cependant de conflit entre ces deux