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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/323

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Car il voyait les mots écrits, comme il les entendait à la fois chantés, et il fallait qu’ils passassent à l’épreuve de cette double opération où tout son art se révèle. En cela il était bien maître poète, à fond et à tréfonds, et ceux qui ne le sont pas ainsi ne le sont guère. Flaubert ne disait-il pas : « Tout vers qui ne remplit pas mon gueuloir n’est pas un vers ».

À défaut de vers, la prose de Stendhal ne remplit pas le gueuloir. Courte, anhélante et laconique, ni écrite, ni chantée, on peut dire d’elle en suivant l’image flaubertine, qu’elle siffle plutôt entre les dents à peine desserrées. Et pourtant, les derniers temps de sa vie, Gautier ne se plaisait plus qu’à elle, las d’avoir tant ciselé la phrase.

Lorsque les statuaires ont atteint l’apogée de leur art et pensent en avoir épuisé les ressources, il n’est pas rare de les voir s’éprendre de la matière même et de tomber en admiration devant les blocs bruts de marbre posés dans l’herbe des chantiers. Ils s’étonnent de la beauté de leurs formes initiales, et ils en deviennent les naïfs idolâtres.

Lorsque s’étant promené de chambre en chambre, aussi tard que possible, pour tromper son insomnie, Gautier finissait par échouer dans la sienne, il s’affaissait sur un fauteuil plein de chats, qu’il en débusquait d’abord par des paroles mielleuses et persuasives. Ils y étaient d’ailleurs sensibles et, après quelques tours et ronrons de politesse, ils s’en allaient prendre leurs quartiers de nuit dans un vieux buffet renaissance dont le rez-de-chaussée leur appartenait, de père en fils, depuis le chouan ancestral du mont Ventoux. Seule, Éponine avait le droit d’assister à la toilette nocturne du maître, toilette faite par