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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/364

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potage, comme le martin-pêcheur effleure l’onde de l’aile, et, prit ! avec la sienne, toutes les assiettes s’envolèrent. J’avais compris. Il s’agissait de prendre le ton des cours, d’abord, et, ensuite, de donner aux jeunes filles qui m’épiaient sous cape, la mesure de mon abstinence comme poète et amoureux abstème. Vainqueur des ânes, allais-je l’être aussi du terrible Eugène ?

Vint le premier service, ou entrée, auquel l’Altesse ne fit pas plus d’honneur qu’à la bisque. À la deuxième bouchée, elle s’arrêta et je m’arrêtai avec elle. Mais, cette fois, Eugène défaillit au cérémonial. Il feignit de ne pas voir le dépli d’éventail qui était le signe de la desserte, et il me sourit à l’oreille :

— Est-ce que monsieur n’aime pas la bécasse ?

J’étais dans les petits papiers, et, ce soir-là, on mangea chez la Princesse.

La situation prépondérante d’Eugène dans la domesticité lui venait, non seulement de son dévouement à toute épreuve pour son excellente maîtresse, mais de son intelligence exceptionnelle et surtout d’un goût inné pour les arts auquel, artiste elle-même, elle était plus sensible qu’à toute autre qualité. Il dessinait remarquablement et ses aquarelles étonnaient souvent Eugène Giraud et Claudius Popelin eux-mêmes. J’en tenais le renseignement précieux du président Charles Desmaze, et, plus diplomate que le comte Benedetti peut-être, je lui avais lancé, entre deux portes, un anch’io son pittore qui me l’avait acquis au temps et à l’éternité.

— À la bonne heure, avait-il déclaré, cette fois M. Gautier donne sa fille à un peintre !