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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/372

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l’atelier du second étage, transformé à cet effet en habitacle conjugal, j’avais obtenu de mon « remercieur » qu’il garderait d’abord en gage et plus tard, s’il le fallait, en souvenir, les quatre ou cinq meubles de famille qui constituaient à la fois mon mobilier et sa garantie d’arriérés. Parmi ces « acajous et palissandres », il y avait, outre l’omni-meuble, armoire, toilette, commode, buffet, où Alexandre Grand avait emmagasiné le pain grillé du siège, la table de noyer où nous avions mastiqué ces biscottes, les cinq ou sept chaises, au nombre toujours impair, des membres de la bohème et un terrible piano carré de la forme la plus encombrante et la plus inapplicable aux aîtres et aux mœurs qu’un luthier ait jamais taillée dans un bois des îles. Cette caisse à dents d’ivoire alterné d’ébène, qui semblait être son propre emballage, ou le sarcophage d’une pierre de taille, formait, avec certain fauteuil voltaire en velours rouge, confessionnal de ma Muse, le gage le plus sérieux d’une créance locative, qui, tous les ans, au retour des frimas, faisait boule de neige et ne fondait pas au retour des zéphyrs.

Quant au lit, merveille de métallurgie simple, Maurice Dreyfous, qui savait les lois, et « au besoin pouvait les comprendre », disait Zizi, l’avait, d’autorité, transféré chez Armand Silvestre. J’y avais droit et j’y couchais sous le toit hospitalier du poète.

Or, tous ces vieux meubles, présents de ma chère grand’mère, et témoins des jours d’apprentissage, m’attendaient dans le pavillon, confiants dans la parole que je leur avais donnée, en les quittant, de les garder comme témoins aussi de mon bonheur.

— Vous irez à Neuilly, leur avais-je juré, et vous