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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/66

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chez Fournaize, dans une auberge riveraine où il y avait des canotiers et des canotières. Il en était l’habitué dominical. On le voyait arriver à l’heure où son feuilleton théâtral paraissait à Paris soit vers cinq heures, myope et jovial, tutoyant, tutoyé, et roulant sa petite bedaine doctorale comme une brave fleuriste son éventaire. Il était toujours flanqué d’un avocat nommé Papillon, plus gros que lui, de manières aussi familières sans être aussi bénévoles, abondant en mots gras, et comme dit Aristide Froissart, « ronde bosse ». Leur premier soin, le dîner commandé pour eux et les convives imprévus des deux sexes, — sans oublier le salmis de grenouilles, car l’Oncle raffolait des grenouilles, — les deux inséparables s’en allaient d’abord prendre leur bain sacramentel au bout de l’île de Bougival, dans un établissement bien connu des boulevardiers amis de la rame ou de la voile et appelé la Grenouillère. Sur ce pont de bateaux, orné d’une buvette à apéritifs, c’était une joie recherchée de les voir, le ventre au clair, barboter, esquisser des coupes rivales, s’immerger, et mêler les jeux académiques du triton à ceux du cheval de fleuve. Parfois Paul de Cassagnac, beau nageur, s’amusait à piquer entre eux une tête profonde qui les séparait et les poussait à la rive, dans le cercle des ondulations. L’avocat n’en riait qu’à demi, mais le critique s’en amusait comme un enfant.

— Non, Papillon, lui criait-il en se hissant sur la berge, tu as beau dire, ce n’est pas une vengeance politique !

— Est-ce qu’on sait, avec ces bonapartistes ? grommelait l’autre, en crachant l’eau avalée. Tu oublies trop le Deux-Décembre !