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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/84

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le pavillon Turquet, il s’y installa d’autorité pour ses vieux jours. Brave, intelligent et dévoué, il connaissait le quartier jusque dans les coins et il m’y faisait mes courses. J’aurai, du reste, à vous en reparler.

— Ah ça ! dis-je à Georges, m’expliqueras-tu maintenant, dans la paix de ce petit Versailles, ce qui t’arrive.

— L’amour… fut sa réponse brève et grave, si grave même que, malgré l’envie que j’en avais, je m’arrêtai net d’en rire.

Et il me confia le secret de son joli roman sentimental, éternellement nouveau et vieux comme le monde, et je n’aurai rien à vous en révéler quand vous saurez que, deux ans plus tard, il aboutissait à un mariage.

Ah ! sacrebleu ! il choisissait bien son temps pour s’éprendre de la sorte ! Chassé de la maison paternelle, menacé d’exhérédation, ne sachant ni art ni métier et aussi peu fait que possible pour une lutte quelconque de la vie, il se heurtait en outre à une famille bourgeoise et, d’après ce qu’il m’en raconta, irréductiblement rebelle à une union sans garantie matérielle. Charpentier fils, successeur de son père, oui, mais Zizi riche seulement d’amour et nu comme un ver de tout le reste, c’était une autre paire de manches.

— Est-ce ma faute, se lamentait-il, si on m’a élevé à ne rien faire de mes dix pinces et pour enfiler, au temps voulu, des braies dorées d’éditeur ?

Il avait raison, assurément, et sa situation précaire s’aggravait de cet amour qu’il baptisait, d’après la science, de « folie persécutrice ».