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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/89

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— Le collignon me reluqua du coin de l’œil, se mit à rire et fouetta sa bête. Ce n’était pas un cheval, c’était un hippogriffe ! Le faubourg Saint-Honoré avait passé dans la vitre comme dans un trou de kaléidoscope, et quant à la montée du Roule, il l’avait bue d’une haleine. En vingt-cinq minutes, je fus à la porte de mon jardinet. — Vous avez dû être cocher dans un roman d’Alexandre Dumas, saluai-je. — Que dites-vous de Pégase, fit-il ? — Qui, Pégase ? Est-ce le nom de votre mirifique coursier ? — Oui, en souvenir de mon premier métier, tout comme un autre, ricanait-il du haut de son siège, tandis que vainement je cherchais la clef de ma porte dans mes poches.

Cette clef, je l’avais distraitement laissée en dedans, dans la serrure. Appeler, qui ? Il n’y avait dans le pavillon que ses deux hôtes, mon chat et mon chien qui, si savants qu’ils fussent en toutes choses, n’entendaient rien à l’art de Fichet. — Eh bien, vous voilà à la belle étoile, lança l’automédon, j’ai connu ça aussi ! Et, rejetant sa couverture, il sauta sur le trottoir.

C’était un petit bonhomme d’une quarantaine d’années, trapu, velu, carré, aux jambes en arcs. J’ai encore dans l’oreille sa voix éraillée et amortie comme celle d’un pendu qui crie à boire. Je vois luire sous le bord de son chapeau ciré ses yeux mobiles, bordés de rouge, chauves de cils, aux regards acérés comme des bistouris, et je dessinerais de mémoire cette lippe mince, édentée, au rictus plissé, dont l’expression d’amertume se relevait de jovialité parisienne. Daumier fût tombé en arrêt devant ce gueuloir voyoucratique. Un tel citoyen, dans une