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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/99

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ne tienne, Dinah Félix et moi nous nous chargerons de les faire palpiter d’intérêt.

— Qui, Dinah Félix ?

— La sœur de la grande Rachel, monsieur, notre soubrette officielle !

Huit jours après j’étais convié à une soirée d’art littéraire et musicale chez la belle-sœur d’Ambroise Thomas, Mme Charles Thomas, et j’y entendais sonner pour la deuxième fois mes pauvres hexamètres d’écolier qui, sur de telles bouches, avaient l’air d’être du Regnard, ni plus ni moins. En outre, Léo Delibes en avait traité la cantilène que Coquelin soupira à défier Capoul lui-même, et il m’en vint tant et tant de gloire que, saisi tout à coup de je ne sais quel effroi inexplicable, je m’enfuis à travers les appartements, poussant les portes, enfilant les couloirs, sous la clameur des voix qui m’appelaient comme on crie « Au voleur ! » et baigné de sueur de la tête aux pieds. C’était — je ne l’ai compris que depuis — l’horreur sacrée du baptême littéraire, j’étais oint pour le martyre. Celui qui me découvrit dans la garde-robe de l’hôtesse, caché entre les jupes accrochées, s’appelait Jules Massenet. C’est le même. Je ne lui ai jamais pardonné d’avoir été ainsi le témoin de ma couardise.

Il m’a semblé que ceux qui auraient plaisir à se représenter l’homme qu’était Coquelin au début de sa carrière n’en trouveront nulle part un portrait plus expressif que dans la lettre ci-dessous reproduite où, peintre en action de lui-même, il ressuscite par le verbe à vingt-cinq ans. On entend, en la lisant, sa voix comme phonographiée : on le voit s’agiter, mener son train impérieux de supprimeur d’obstacles, de passeur de ponts d’Arcole, et véritable-