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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/108

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connaissait pas encore. Elle y a, comme on sait, son portrait sous deux formes, un buste d’abord, dans un petit foyer latéral, aussi peu ressemblant que possible, puis, dans une voussure du foyer de la danse, une image peinte par Gustave Boulanger, moins étrangère au modèle. Son nom du reste y est inscrit dans les rinceaux de l’encadrement. Elle leva la tête et se regarda. Je m’étais écarté pour la laisser à sa contemplation muette. — Allons, fit-elle enfin en me reprenant le bras, j’étais mieux que cela tout de même ! — Mais elle ne voulut point en voir davantage. Elle tremblait un peu et les violettes de ses yeux s’étaient humectées de rosée. Ce fut la seule et unique fois que, devant moi, l’artiste trahit quelque regret de ses années de gloire, et jamais plus elle ne revint à l’Opéra, elle boudait son médaillon.

Carlotta Grisi, qui forme, avec la Taglioni et Fanny Essler, le grand trio classique de la chorégraphie française dont Mlle Zambelli perpétue la tradition, est morte à Genève en 1899, presque octogénaire, oubliée, même de la presse. Je n’ai point lu d’article nécrologique sur elle ; aucun journal illustré n’a ranimé ses traits charmants ; pour Paris elle était déjà légendaire et, comme dit Edmond Rostand, princesse lointaine. Elle s’était elle-même ensevelie vivante depuis 1848, année de sa retraite de l’Opéra et je ne suis pas Ovide pour vous dire comment une libellule peut se transformer en marmotte.

Les seules lignes d’encre versée comme une libation à ses mânes légers qui dansent sur le lac de Jean-Jacques, furent celles que je trouve dans L’Éclair du 26 juin 1899, les voici :