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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/195

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revint aux choses de l’imagination où il excelle. C’est à Paris qu’il compose et publie, tantôt au Temps, tantôt à la Revue des Deux Mondes ses romans, contes et nouvelles, aussi aisément écrits dans notre langue que dans la sienne, et hier encore la Comédie-Française n’avait pas d’habitué plus fidèle à son foyer, entre les bustes de nos classiques. Jadis banni de la terre natale par l’ombrageux Nicolas pour une simple apologie de Gogol, il nous arriva à la même époque qu’Henri Heine, vers 1840, et tout de suite il fut des nôtres. Il était le Russe du boulevard, comme Heine en était l’Allemand, ayant réalisé tous les deux le problème de choisir sa patrie. Le premier geste d’Alexandre II, à son avènement, fut bien de rappeler l’illustre maître, son ami d’ailleurs, mais il était trop tard, le pli français était pris et Tourgueneff nous est resté. Il n’est pas de milieu mondain ou de centre artistique où l’on ne rencontre « le grand Moscove », comme l’appelle Gustave Flaubert, reconnaissable à sa stature de géant, à sa crinière argentée, à sa voix flûtée et à ses douces manières slaves, et, au « Drouot » même, il est le visiteur presque quotidien de nos ventes. Il s’asseoit sur une banquette, ajuste son lorgnon, et d’un signe perçu de Charles Pillet seulement, il pousse à l’enchère des maîtres qu’il aime. C’est ainsi qu’il s’est formé la petite collection éclectique, et si individuelle, dont j’ai hâte de vous entretenir.

Les paysagistes, ceux surtout de notre École de Fontainebleau, en font presque tous les frais et il n’y a pas lieu de s’en étonner si l’on se remémore quel peintre de nature il est lui-même. N’est-il point « documentaire » (le mot est à la mode) de savoir dans