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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/212

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aux rieurs charmants de la décadence. Ils l’adoptèrent tout de suite et ils en firent le succès eux-mêmes. Comme on se sentait encore plus proches du dix-huitième siècle que du vingtième, le groupe des ironistes neveux des Voltaire, des Diderot, des Piron, des Chamfort, se bornait à prolonger la tradition de la philosophie française, et à perpétuer leurs mœurs insouciantes. Si leurs aïeux allaient, ratiocinant d’art et de lettres, du café Procope à la Régence, ils déambulèrent, eux, de la terrasse de Tortoni aux cabinets de Brébant et, dans l’intervalle de cinq cents pas qui séparaient les deux pôles du boulevardisme, ils fixèrent le centre du monde. Il faut bien croire que ce « mail » fut une force péripatétique, lui aussi, puisque Paris lui a dû, et lui doit encore, son attraction fascinatrice, et ce qu’on appelait, hier ou avant-hier, sa suprématie intellectuelle.

Le boulevardisme, il est vrai, et on l’en accuse, a créé l’esprit de café qui, par certains côtés est routinier, en effet, et centralisateur. D’abord, il ne l’a pas créé ; il l’a hérité du siècle précédent, le plus nationalement potinier, ergoteur et médisant de tous les siècles. Et puis, cet esprit de café, il valait bien l’esprit de cercle, dites ? Elle n’a peut-être pas beaucoup gagné au change, la société que vous avez aujourd’hui, sous la Troisième, par le double abrutissement du jeu et de l’ivrognerie à l’anglaise. Le café donne sur la rue, mais l’air y entre et, avec lui, tous les bruits de la vie. On s’y frotte encore aux intérêts généraux, on y a commerce d’humanité, on y échange autre chose que des cartes grasses et silencieuses. Oui, le café valait mieux que le cercle, si le lupanar vaut mieux que l’onanisme.