Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/225

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réussi à Victor Hugo, dans la Pathmos anglaise.

— Il s’y est pourtant fait une belle santé, Gustave !

— Oh ! la santé, un préjugé de province ! À Paris on crève toute la vie, c’est ça qui est drôle. Vois, sur le trottoir, le bon, celui de droite, s’il passe un gros plein de soupe, tout le monde se retourne et s’esclaffe ! Il est obligé de prendre le trottoir de gauche et de faire semblant d’entrer au Crédit Lyonnais pour échapper au ridicule.

Sur ce thème de la mise au vert, notre débat le plus fréquent, le bon fakir du café Riche était littéralement intraitable, et je n’obtenais de sa récalcitrance que l’apologie opiniâtre du gaz, de l’odeur des restaurants et du relent exquis des bitumes en fusion dans les cuves « qu’on va chercher au diable dans les ports de mer ».

— Le grand air, ton grand air, qui fait aimer l’horrible soupe aux choux et la morue infâme, eh bien ! veux-tu toute ma pensée ? Il y en a encore trop dans Paris ! oui, trop ! Tiens : si l’Empereur, au lieu de sa rue de Rivoli inopportune et sans but nous les avait voûtés, nos boulevards, et consacrés par des portiques, je te le dis en vérité, nous serions sous Napoléon IV au lieu d’être en pleine… Veux-tu un bon cigare ?

— Avec une pareille philosophie historique et si tu crains autant la pluie que le soleil, comment viens-tu du Moniteur au café Riche ?

— Par les passages. Il n’y a que les Tuileries, un sale jardin à nourrices, à passer sous les balles, à travers les cerceaux, de statue en statue et d’arbre en arbre. Puis j’atteins les arcades rivoliques, le passage Delorme, le passage Choiseul, et de là, je