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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/250

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visage menaçant. C’était trop artiste, ces conversations-là. Ça ne sentait pas assez le pétrole.

— Citoyen Monselet, dit-il en lui versant à boire, vous ne sentez pas assez le pétrole !

— Vous trouvez, Barbelion ? fit le poète gastronome en reculant sa chaise avec un geste d’effroi.

— D’ailleurs, reprit l’autre, je ne vous ai pas vu parmi les nôtres.

— C’est sans doute que je n’y étais pas. Et se retournant vers Vallès, qui se tordait de rire : Je te remercie, citoyen Jules, de nous avoir servi des couteaux ronds.

Mais malgré les efforts de Barbelion, la causerie restait littéraire. Sevré depuis neuf ans de l’esprit boulevardier, éloigné du mouvement intellectuel de Paris, Vallès était avide de savoir les noms nouveaux, les vrais succès, les chiffres d’éditions, les étoiles apparues. Il nous suppliait de lui dire tout, de ne rien lui cacher, il nous prenait par les sentiments. Les questions se pressaient sur ses lèvres sans attendre les réponses. Il était comme grisé par cette odeur de la patrie que nous avions dans nos vêtements.

— Ce Zola qui est-ce ? Ah ! c’est un lapin. En voilà un qui me va des pieds à la tête ! Je lui ai écrit pour le féliciter. Charpentier m’envoie ses volumes. Et ce petit Daudet ?… qui aurait cru ça ! Voyez-vous Goncourt ? Qu’est-ce qu’il va faire sans son frère ? Et les vers ? Est-ce qu’on fait encore des vers en France ? Quel drôle de jeu ! À la prochaine je fusille tous les poètes !

— Bravo ! dit Barbelion, et il jeta sur Monselet un regard de hyène.