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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/295

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aptitude à saisir le caractère, sans compter la passion ardente du Beau, dont il lui communiqua la flamme. Mais ce qu’il ne dit pas et ce qu’il est aisé de deviner, c’est que l’élève ne tarda pas à en savoir plus long que le maître et qu’il en eut vite épuisé l’enseignement et tari la doctrine. D’ailleurs le bon Sartoris, et avec lui toute la ville, comprenait bien que Paris était nécessaire à cette organisation exceptionnelle, et qu’à Paris seulement elle pouvait s’épanouir à l’aise. Paris, c’est l’École des beaux-arts, c’est le Prix de Rome, et puis Rome elle-même !… On décida que les frais du voyage seraient pris sur les fonds municipaux. La Roche-sur-Yon vota cinq cents francs de pension à son futur Raphaël ; une collecte privée vint encore augmenter cette somme de trois cent soixante francs, et Baudry parfit le tout avec ses économies de violoneux. C’est ainsi qu’il arriva à Paris, l’âme peuplée de rêves, ce petit homme aux yeux noirs, qui est aujourd’hui, à 48 ans, notre premier peintre français.

Sartoris lui avait dit : « Emporte ton violon ! Qui sait ! il te rendra peut-être les mêmes services, au besoin, que ma truelle ! Et puis cela fera plaisir à ton père de savoir que tu n’abandonnes pas la musique ! »

Baudry n’a jamais eu recours à son violon : le pinceau lui a suffi. Seulement, dans toutes les lettres qu’il écrivait à son père, il lui en donnait des nouvelles, et le brave homme se consolait en disant : Ah ! si Paul avait voulu, il aurait fait oublier Viotti !

L’arrivée de Baudry à Paris date de 1844. En 1845, c’est-à-dire l’année suivante, il était reçu premier à l’École des beaux-arts, dans le concours des places.