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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/64

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— « J’irai en Hurepoix ! Je verrai Hurepoix ! Voir le Hurepoix et mourir ?… » Cette fermière opulente, « maman Brossard », était une commère haute en verbe et prompte en geste qui ne badinait pas avec les distractions anticonjugales. Elle avait doté sa fille pour qu’elle fût heureuse et il fallait qu’elle le fût. Elle tenait d’ailleurs son héritage suspendu sur le fonctionnaire de ce bonheur, ce qui ne l’empêchait pas de le rémunérer d’un bout de terre à chaque preuve qu’il donnait de son zèle pour la repopulation de la France. Aussi jouait-il serré, et de son mieux, sans Thérèse. Ma grand’mère était la dernière de ces preuves. Aussi avait-elle eu titulairement, par avance d’hoirie, un carré de choux à Limours, sous la forêt de Frileuse. C’est là, d’ailleurs, qu’elle dort son sommeil bien gagné de brave créature du bon Dieu et de « discrète personne », comme disent si doucement les pierres tumulaires de village.

Il est dur, il est très dur pour un poète de se dire qu’il aurait pu, un saint de famille aidant, avoir une ferme en Beauce, et même en Hurepoix. Mais la désolante vérité est que je n’ai hérité de « maman Brossard » que d’une timbale d’argent où je bois à sa santé, quand j’y pense. Elle s’en était allée à peu près ruinée par des spéculations où les femmes, si fortes soient-elles, sont toujours roulées par les gens de justice. Et son gendre aussi mourut, inutilement exemplaire, puis la malheureuse mère, sans Thérèse, des treize enfants, qui, à leur tour, s’éparpillèrent, comme au temps de saint Louis, courant après leurs vingt-quatre cousins ou cousines.

Et ma grand’mère se maria. Elle était merveilleu-