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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/8

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À tort ou à raison, je n’ai jamais compris la portée philosophique de ces apostrophes lyriques dont les Rubempré foudroient, au soleil couchant, du haut des Père-Lachaise, la malheureuse Babylone moderne. C’est comme si les bergers de la montagne invectivaient les hauts fourneaux de la ville manufacturière. Les Romantiques ont tous coupé dans ce pont de la jérémiade de remparts et les naturalistes de même. Mais le naturalisme n’était que le pæan de la province.

Lorsque les Juifs, dit la Bible, arrivèrent devant Chanaan, ils devinrent comme fous à la vue des raisins monstrueux de la Terre Promise. Un ânier qui rentrait à Sidon avec une charge d’olives se mit à rire de leur exaltation. — Prodigieuses, dites-vous, les baies de nos pampres ? Mais il y en a tant ici que nous les laissons perdre et ce sont nos oiseaux et nos pauvres qui les mangent !

D’ailleurs Paris contient encore beaucoup plus d’autochtones qu’on ne l’imagine — le recensement en cours peut en fixer le nombre — sinon ataviques, du moins assimilés depuis longtemps et fondus dans la race. Tout se charge de cette fusion, le climat y aide aux lois, les lois aux mœurs, et c’est ici que triomphe cette théorie des milieux que Darwin n’a fait qu’emprunter à la nature même.

Avez-vous observé qu’il n’en va pas ainsi dans les autres « babylones », car enfin il y a d’autres babylones que la nôtre à foudroyer des Père-Lachaise. À Londres, un transplanté ne devient jamais un Londonien, ni à Berlin un Berlinois, et si, dans sa grande cuve d’immigration, New York mêle tous les types de la famille humaine, elle en fait des Américains,