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Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/156

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Pierre ; car les effets du même sentiment, par exemple, s’ajoutent et se renforcent à tous les moments de la durée, et la somme de ces effets ne pourrait être éprouvée tout d’un coup que si l’on connaissait l’importance du sentiment, pris dans son ensemble, par rapport à l’acte final, lequel demeure précisément dans l’ombre. Mais si Pierre et Paul ont éprouvé dans le même ordre les mêmes sentiments, si leurs deux âmes ont la même histoire, comment les distinguerez-vous l’une de l’autre ? Sera-ce par le corps où elles habitent ? Elles différeraient alors sans cesse par quelque endroit, puisqu’elles ne se représenteraient le même corps à aucun moment de leur histoire. Sera-ce par la place qu’elles occupent dans la durée ? Elles n’assiste­raient plus alors aux mêmes événements ; or, par hypothèse, elles ont le même passé et le même présent, ayant la même expérience. — Il faut maintenant que vous en preniez votre parti : Pierre et Paul sont une seule et même personne, que vous appelez Pierre quand elle agit et Paul quand vous récapitulez son histoire. À mesure que vous complétiez davantage la somme des conditions qui, une fois connues, eussent permis de prédire l’action future de Pierre, vous serriez de plus près l’existence de ce personnage, vous tendiez davantage à la revivre dans ses moindres détails, et vous arriviez ainsi au moment précis où, l’action s’accomplissant, il ne pouvait plus être question de la prévoir, mais simplement d’agir. Ici encore tout essai de reconstitution d’un acte émanant de la volonté même vous conduit à la constatation pure et simple du fait accompli.

C’est donc une question vide de sens que celle-ci : l’acte pouvait-il ou ne pouvait-il pas être prévu, étant donné l’ensemble complet de ces antécédents ? Car il y a deux manières de s’assimiler ces antécédents, l’une dynamique, l’autre statique. Dans le premier cas, on sera amené par transitions insensibles à coïncider avec la personne dont