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Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/158

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jours à celle-ci : le temps est-il de l’espace ? Vous avez com­mencé par juxtaposer dans un espace idéal les états de conscience qui se sont succédé dans l’âme de Pierre, et vous apercevez la vie de ce personnage sous forme d’une trajectoire MOXY dessinée par un mobile M dans l’espace.

Vous effacez alors, par la pensée, la partie OXY de cette courbe, et vous vous demandez si, connaissant MO, vous eussiez pu déterminer à l’avance la courbe OX que le mobile décrit à partir du point O. C’est là, au fond, la question que vous posiez quand vous faisiez intervenir un philosophe Paul, prédécesseur de Pierre, et chargé de se représenter en imagination les conditions où Pierre agira. Vous matérialisiez ainsi ces conditions ; vous faisiez du temps à venir une route déjà tracée dans la plaine, et que l’on peut contempler du haut de la montagne sans l’avoir parcourue, sans devoir la parcourir jamais. Mais vous n’avez pas tardé à vous apercevoir que la connaissance de la partie MO de la courbe serait insuffisante, à moins toutefois qu’on ne vous indiquât la position des points de cette ligne, non seulement par rapport les uns aux autres, mais encore par rapport aux points de la ligne MOXY tout entière ; ce qui reviendrait à se donner par avance les éléments mêmes qu’il s’agit de déterminer. Vous avez alors modifié votre hypothèse ; vous avez compris que le temps ne demande pas à être vu, mais vécu ; vous en avez conclu que si votre connaissance de la ligne MO ne constituait pas une donnée suffisante, c’est parce que vous la regardiez du dehors, au lieu de vous confondre avec le point M qui décrit, non seulement MO, mais encore la courbe tout entière, et d’adopter ainsi son mouvement. Vous avez donc amené Paul à coïncider avec Pierre, et naturellement, c’est la ligne MOXY que Paul a tracée