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Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/275

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des causes et des effets ? Cache-t-elle même quelque chose, ou ne se réduirait-elle pas, en somme, à un déploiement tout superficiel de mouvements qui s’engrènent mécaniquement les uns dans les autres ? Conformément à son principe, M. Ravaisson demande la solution de ce problème très général à une intuition très concrète, celle que nous avons de notre propre manière d’être quand nous contractons une habitude. Car l’habitude motrice, une fois prise, est un mécanisme, une série de mouvements qui se déterminent les uns les autres : elle est cette partie de nous qui est insérée dans la nature et qui coïncide avec la nature ; elle est la nature même. Or, notre expérience intérieure nous montre dans l’habitude une activité qui a passé, par degrés insensibles, de la conscience à l’inconscience et de la volonté à l’automatisme. N’est-ce pas alors sous cette forme, comme une conscience obscurcie et une volonté endormie, que nous devons nous représenter la nature ? L’habitude nous donne ainsi la vivante démonstration de cette vérité que le mécanisme ne se suffit pas à lui-même : il ne serait, pour ainsi dire, que le résidu fossilisé d’une activité spirituelle.

Ces idées, comme beaucoup de celles que nous devons à M. Ravaisson, sont devenues classiques. Elles ont si bien pénétré dans notre philosophie, toute une génération s’en est à tel point imprégnée, que nous avons quelque peine, aujourd’hui, à en reconstituer l’originalité. Elles frappèrent les contemporains. La thèse sur l’Habitude, comme d’ailleurs l’Essai sur la métaphysique d’Aristote, eut un retentissement de plus en plus profond dans le monde philosophique. L’auteur, tout jeune encore, était déjà un maître. Il paraissait désigné pour une chaire dans le haut enseignement, soit à la Sorbonne, soit au Collège de France, où il désira, où il faillit avoir la suppléance de Jouffroy. Sa carrière y