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Page:Bergson - Le Rire.djvu/197

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l’interrompt sans cesse. Le passage se ferait d’ailleurs insensiblement de celui qui ne veut rien entendre à celui qui ne veut rien voir, et enfin à celui qui ne voit plus que ce qu’il veut. L’esprit qui s’obstine finira par plier les choses à son idée, au lieu de régler sa pensée sur les choses. Tout personnage comique est donc sur la voie de l’illusion que nous venons de décrire, et Don Quichotte nous fournit le type général de l’absurdité comique.

Cette inversion du sens commun porte-t-elle un nom ? On la rencontre, sans doute, aiguë ou chronique, dans certaines formes de la folie. Elle ressemble par bien des côtés à l’idée fixe. Mais ni la folie en général ni l’idée fixe ne nous feront rire, car ce sont des maladies. Elles excitent notre pitié. Le rire, nous le savons, est incompatible avec l’émotion. S’il y a une folie risible, ce ne peut être qu’une folie conciliable avec la santé générale de l’esprit, une folie normale, pourrait-on dire. Or, il y a un état normal de l’esprit qui imite de tout point la folie, où l’on retrouve les mêmes associations d’idées que dans l’aliénation