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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/125

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rable pour son utilité, à celle que suggèrent à l’homme, intelligent et libre, des images quasi hallucinatoires. Mais évoquer ainsi des développements divergents et complémentaires qui aboutiraient d’un côté à des instincts réels et, de l’autre, à des instincts virtuels, n’est-ce pas se prononcer sur l’évolution de la vie ?

Tel est en effet le problème plus vaste que notre seconde question pose. Il était d’ailleurs implicitement contenu dans la première. Comment rapporter à un besoin vital les fictions qui se dressent devant l’intelligence, et parfois contre elle, si l’on n’a pas déterminé les exigences fondamentales de la vie ? Ce même problème, nous le retrouverons, plus explicite, quand surgira une question que nous ne pourrons pas éviter : comment la religion a-t-elle survécu au danger qui la fit naître ? Comment, au lieu de disparaître, s’est-elle simplement transformée ? Pourquoi subsiste-t-elle, alors que la science est venue combler le vide, dangereux en effet, que l’intelligence laissait entre sa forme et sa matière ? Ne serait-ce pas qu’au-dessous du besoin de stabilité que la vie manifeste, dans cet arrêt ou plutôt dans ce tournoiement sur place qu’est la conservation d’une espèce, il y a quelque exigence d’un mouvement en avant, un reste de poussée, un élan vital ? Mais les deux premières questions suffiront pour le moment. L’une et l’autre nous ramènent aux considérations que nous avons présentées autrefois sur l’évolution de la vie. Ces considérations n’étaient nullement hypothétiques, comme certains ont paru le croire. En parlant d’un « élan vital » et d’une évolution créatrice, nous serrions l’expérience d’aussi près que nous le pouvions. On commence à s’en apercevoir, puisque la science positive, par le seul fait d’abandonner certaines thèses ou de les donner pour de simples hypothèses, se rapproche