Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/132

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donc jusque dans la structure des individus. Mais, encore une fois, ce n’est là qu’une tendance ; et si l’on veut avoir affaire à des sociétés achevées, organisations nettes d’individualités distinctes, il faut prendre les deux types parfaits d’association que représentent une société d’insectes et une société humaine, celle-là immuable [1] et celle-ci changeante, l’une instinctive et l’autre intelligente, la première comparable à un organisme dont les éléments n’existent qu’en vue du tout, la seconde laissant tant de marge aux individus qu’on ne sait si elle est faite pour eux ou s’ils sont faits pour elle. Des deux conditions posées par Comte, « ordre » et « progrès », l’insecte n’a voulu que l’ordre, tandis que c’est le progrès, parfois exclusif de l’ordre et toujours dû à des initiatives individuelles, que vise une partie au moins de l’humanité. Ces deux types achevés de vie sociale se font donc pendant et se complètent. Mais on en dirait autant de l’instinct et de l’intelligence, qui les caractérisent respectivement. Replacés dans l’évolution de la vie, ils apparaissent comme deux activités divergentes et complémentaires.

Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons exposé dans un travail antérieur. Rappelons seulement que la vie est un certain effort pour obtenir certaines choses de la matière brute, et qu’instinct et intelligence, pris à l’état achevé, sont deux moyens d’utiliser à cet effet un outil dans le premier cas, l’outil fait partie de l’être vivant dans l’autre, c’est un instrument inorganique, qu’il a fallu inventer, fabriquer, apprendre à manier. Posez l’utilisation, à plus forte raison la fabrication, à plus forte raison encore l’invention, vous retrouverez un à

  1. Il va sans dire que l’immutabilité n’est pas absolue, mais essentielle. Elle existe en principe, mais elle admet des variations sur le thème une fois posé.