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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/173

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la prédiction de mon ami B***, tremblement qui s’était tenu tranquille, qui s’était retenu pendant tous les mois intermédiaires, pour enfin, en cette mémorable matinée d’avril, envahir ma chambre et s’affirmer d’autant plus énergiquement et triomphalement. De plus, c’est à moi qu’il venait en droite ligne. Il se glissait à l’intérieur, derrière mon dos ; et une fois dans la chambre, il m’avait pour lui tout seul, pouvant ainsi se manifester de façon convaincante. Jamais animation et intention ne furent plus présentes à une action humaine. Jamais, non plus, activité humaine ne fit voir plus nettement derrière elle, comme source et comme origine, un agent vivant.

Tous ceux que j’interrogeai là-dessus se trouvèrent d’ailleurs d’accord sur cet aspect de leur expérience : « Il affirmait une intention », « Il était pervers », « Il s’était mis en tête de détruire », « Il voulait montrer sa force», etc., etc. À moi, il voulait simplement manifester la pleine signification de son nom. Mais qui était cet « il » ? Pour quelques-uns, vraisemblablement, un vague pouvoir démoniaque. Pour moi, un être individualisé, le tremblement de terre de B***.

Une des personnes qui me communiquèrent leurs impressions s’était crue à la fin du monde, au commencement du jugement dernier. C’était une dame logée dans un hôtel de San Francisco, à laquelle l’idée d’un tremblement de terre ne vint que lorsqu’elle se fut trouvée dans la rue et qu’elle entendit donner cette explication. Elle me dit que son interprétation théologique l’avait préservée de la peur, et lui avait fait prendre la secousse avec calme.

Pour « la science », quand des tensions de l’écorce terrestre atteignent le point de rupture, et que des strates subissent une modification d’équilibre, le tremblement de terre est tout simplement le nom collectif de tous les craquements, de toutes les secousses, de toutes les perturbations qui se produisent. Ils sont le tremblement de terre. Mais, pour moi, c’était le tremblement de terre qui était la cause des perturbations, et la perception de ce tremblement comme d’un agent vivant était irrésistible. Il avait une force dramatique de conviction qui emportait tout.

Je vois mieux maintenant combien étaient inévitables les anciennes interprétations mythologiques de catastrophes de ce genre, et combien sont artificielles, comment vont en sens inverse de notre perception spontanée, les habitudes ultérieures que la