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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/193

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à une mentalité originelle d’où toute vraie science serait absente. D’ailleurs, une fois maîtresse de la place, elle exécute mille et mille variations sur elle-même, plus féconde que la science puisque ses inventions sont fantaisie pure et ne coûtent rien. Ne parlons donc pas d’une ère de la magie à laquelle aurait succédé celle de la science. Disons que science et magie sont également naturelles, qu’elles ont toujours coexisté, que notre science est énormément plus vaste que celle de nos lointains ancêtres, mais que ceux-ci devaient être beaucoup moins magiciens que les non-civilisés d’aujourd’hui. Nous sommes restés, au fond, ce qu’ils étaient. Refoulée par la science, l’inclination à la magie subsiste et attend son heure. Que l’attention à la science se laisse un moment distraire, aussitôt la magie fait irruption dans notre société civilisée, comme profite du plus léger sommeil, pour se satisfaire dans un rêve, le désir réprimé pendant la veille.

Reste alors la question des rapports de la magie avec la religion. Tout dépend évidemment de la signification de ce dernier terme. Le philosophe étudie le plus souvent une chose que le sens commun a déjà désignée par un mot. Cette chose peut n’avoir été qu’entrevue ; elle peut avoir été mal vue ; elle peut avoir été jetée pêle-mêle avec d’autres dont il faudra l’isoler. Elle peut même n’avoir été découpée dans l’ensemble de la réalité que pour la commodité du discours et ne pas constituer effectivement une chose, se prêtant à une étude indépendante. Là est la grande infériorité de la philosophie par rapport aux mathématiques et même aux sciences de la nature. Elle doit partir de la désarticulation du réel qui a été opérée par le langage, et qui est peut-être toute relative aux besoins de la cité : trop souvent elle oublie cette origine, et