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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/215

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l’est en Chine. Ici surtout se constate la tendance des très anciens dieux, primitivement chargés de besognes toutes matérielles, à s’enrichir d’attributs moraux quand ils avancent en âge. Dans la Babylonie du Sud, le soleil qui voit tout est devenu le gardien du droit et de la justice ; il reçoit le titre de « juge ». Le Mitra indien est le champion de la vérité et du droit ; il donne la victoire à la bonne cause. Et l’Osiris égyptien, qui s’est confondu avec le dieu solaire après avoir été celui de la végétation, a fini par être le grand juge équitable et miséricordieux qui règne sur le pays des morts.

Tous ces dieux sont attachés à des choses. Mais il en est — souvent ce sont les mêmes, envisagés d’un autre point de vue — qui se définissent par leurs relations avec des personnes ou des groupes. Peut-on considérer comme un dieu le génie ou le démon propre a un individu ? Le genius romain était numen et non pas deus ; il n’avait pas de figure ni de nom ; il était tout près de se réduire à cette « présence efficace » que nous avons vue être ce qu’il y a de primitif et d’essentiel dans la divinité. Le lar familiaris, qui veillait sur la famille, n’avait guère plus de personnalité. Mais plus le groupement est important, plus il a droit à un dieu véritable. En Égypte, par exemple, chacune des cités primitives, avait son divin protecteur. Ces dieux se distinguaient précisément les uns des autres par leur relation à telle ou telle communauté : en disant « Celui d’Edfu », « Celui de Nekkeb », on les désignait suffisamment. Mais le plus souvent il s’agissait de divinités qui préexistaient au groupe, et que celui-ci avait adoptées. Il en fut ainsi, en Égypte même, pour Amon-Râ, le dieu de Thèbes. Il en fut ainsi en Babylonie, où la ville d’Ur avait pour déesse la Lune, celle d’Uruk la planète Vénus. De même en Grèce, où Déméter