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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/235

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avons appelée statique ou naturelle. La religion est ce qui doit combler, chez des êtres doués de réflexion, un déficit éventuel de l’attachement à la vie.

Il est vrai qu’on aperçoit tout de suite une autre solution possible du problème. La religion statique attache l’homme à la vie, et par conséquent l’individu à la société, en lui racontant des histoires comparables à celles dont on berce les enfants. Sans doute ce ne sont pas des histoires comme les autres. Issues de la fonction fabulatrice par nécessité, et non pas pour le simple plaisir, elles contrefont la réalité perçue au point de se prolonger en actions : les autres créations imaginatives ont cette tendance, mais elles n’exigent pas que nous nous y laissions aller ; elles peuvent rester à l’état d’idées ; celles-là, au contraire, sont idéo-motrices. Ce n’en sont pas moins des fables, que des esprits critiques accepteront souvent en fait, comme nous l’avons vu, mais qu’en droit ils devraient rejeter. Le principe actif, mouvant, dont le seul stationnement en un point extrême s’est exprimé par l’humanité, exige sans doute de toutes les espèces créées qu’elles se cramponnent à la vie. Mais, comme nous le montrions jadis, si ce principe donne toutes les espèces globalement, à la manière d’un arbre qui pousse dans toutes les directions des branches terminées en bourgeons, c’est le dépôt, dans la matière, d’une énergie librement créatrice, c’est l’homme ou quelque être de même signification — nous ne disons pas de même forme — qui est la raison d’être du développement tout entier. L’ensemble eût pu être très supérieur à ce qu’il est, et c’est probablement ce qui arrive dans des mondes où le courant est lancé à travers une matière moins réfractaire. Comme aussi le courant eût pu ne jamais trouver libre passage, pas même dans cette mesure insuffisante, auquel cas