Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/259

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Grande est au contraire son humilité. Comment ne serait-il pas humble, alors qu’il a pu constater dans des entretiens silencieux, seul à seul, avec une émotion où son âme se sentait fondre tout entière, ce qu’on pourrait appeler l’humilité divine ?

Déjà dans le mysticisme qui s’arrêtait à l’extase, c’est-à-dire à la contemplation, une certaine action était préformée. On éprouvait, à peine redescendu du ciel sur la terre, le besoin d’aller enseigner les hommes. Il fallait annoncer à tous que le monde perçu par les yeux du corps est sans doute réel, mais qu’il y a autre chose, et que ce n’est pas simplement possible ou probable, comme le serait la conclusion d’un raisonnement, mais certain comme une expérience : quelqu’un a vu, quelqu’un a touché, quelqu’un sait. Toutefois il n’y avait là qu’une velléité d’apostolat. L’entreprise était en effet décourageante : la conviction qu’on tient d’une expérience, comment la propager par des discours ? et comment surtout exprimer l’inexprimable ? Mais ces questions ne se posent même pas au grand mystique. Il a senti la vérité couler en lui de sa source comme une force agissante. Il ne s’empêcherait pas plus de la répandre que le soleil de déverser sa lumière. Seulement, ce n’est plus par de simples discours qu’il la propagera.

Car l’amour qui le consume n’est plus simplement l’amour d’un homme pour Dieu, c’est l’amour de Dieu pour tous les hommes. À travers Dieu, par Dieu, il aime toute l’humanité d’un divin amour. Ce n’est pas la fraternité que les philosophes ont recommandée au nom de la raison, en arguant de ce que tous les hommes participent originellement d’une même essence raisonnable : devant un idéal aussi noble on s’inclinera avec respect ; on s’efforcera de le réaliser s’il n’est pas trop gênant pour l’