Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/290

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elle. Bref, il serait aisé d’ajouter quelques paragraphes à la Théodicée de Leibniz. Mais nous n’en avons aucune envie. Le philosophe peut se plaire à des spéculations de ce genre dans la solitude de son cabinet : qu’en pensera-t-il, devant une mère qui vient de voir mourir son enfant ? Non, la souffrance est une terrible réalité, et c’est un optimisme insoutenable que celui qui définit a priori le mal, même réduit à ce qu’il est effectivement, comme un moindre bien. Mais il y a un optimisme empirique, qui consiste simplement à constater deux faits : d’abord, que l’humanité juge la vie bonne dans son ensemble, puisqu’elle y tient ; ensuite qu’il existe une joie sans mélange, située par delà le plaisir et la peine, qui est l’état d’âme définitif du mystique. Dans ce double sens, et de ce double point de vue, l’optimisme s’impose, sans que le philosophe ait à plaider la cause de Dieu. Dira-t-on que si la vie est bonne dans son ensemble, elle eût néanmoins été meilleure sans la souffrance, et que la souffrance n’a pas pu être voulue par un Dieu d’amour ? Mais rien ne prouve que la souffrance ait été voulue. Nous exposions que ce qui apparaît d’un côté comme une immense multiplicité de choses, au nombre desquelles est en effet la souffrance, peut se présenter d’autre part comme un acte indivisible ; de sorte qu’éliminer une partie serait supprimer le tout. On alléguera que le tout eût pu être différent, et tel que la douleur n’en eût pas fait partie ; que par conséquent la vie, même si elle est bonne, eût pu être meilleure. D’où l’on conclura que s’il y a réellement un principe, et si ce principe est amour, il ne peut pas tout, il n’est donc pas Dieu. Mais là est précisément la question. Que signifie au juste la « toute-puissance » ? Nous montrions que l’idée de « rien » est quelque chose comme l’idée d’un carré rond, qu’elle s’évanouit à l’analyse pour ne laisser