Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/320

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nombre restreint de soldats chargés de représenter la nation. Plus rien qui ressemble à un duel. Il faut que tous se battent contre tous, comme firent les hordes des premiers temps. Seulement on se bat avec les armes forgées par notre civilisation, et les massacres sont d’une horreur que les anciens n’auraient même pas imaginée. Au train dont va la science, le jour approche où l’un des adversaires, possesseur d’un secret qu’il tenait en réserve, aura le moyen de supprimer l’autre. Il ne restera peut-être plus trace du vaincu sur la terre.

Les choses suivront-elles leur cours ? Des hommes que nous n’hésitons pas à ranger parmi les bienfaiteurs de l’humanité se sont heureusement mis en travers. Comme tous les grands optimistes, ils ont commencé par supposer résolu le problème à résoudre. Ils ont fondé la Société des Nations. Nous estimons que les résultats obtenus dépassent déjà ce qu’on pouvait espérer. Car la difficulté de supprimer les guerres est plus grande encore que ne se l’imaginent généralement ceux qui ne croient pas à leur suppression. Pessimistes, ils s’accordent avec les optimistes à considérer le cas de deux peuples qui vont se battre comme analogue à celui de deux individus qui ont une querelle ; ils estiment seulement que ceux-là ne pourront jamais, comme ceux-ci, être contraints matériellement de porter le litige devant des juges et d’accepter la décision. La différence est pourtant radicale. Même si la Société des Nations disposait d’une force armée apparemment suffisante (encore le récalcitrant aurait-il toujours sur elle l’avantage de l’élan ; encore l’imprévu de la découverte scientifique rendra-t-il de plus en plus imprévisible la nature de la résistance que la Société devrait préparer) elle se heurterait à l’instinct profond de guerre que recouvre la civilisation ; tandis que les individus