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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/338

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coin ? De telles constatations ont de quoi attrister le moraliste. Qu’on y réfléchisse pourtant, on y trouvera aussi des motifs d’espérer. Le besoin toujours croissant de bien-être, la soif d’amusement, le goût effréné du luxe, tout ce qui nous inspire une si grande inquiétude pour l’avenir de l’humanité parce qu’elle a l’air d’y trouver des satisfactions solides, tout cela apparaîtra comme un ballon qu’on remplit furieusement d’air et qui se dégonflera aussi tout d’un coup. Nous savons qu’une frénésie appelle la frénésie antagoniste. Plus particulièrement, la comparaison des faits actuels à ceux d’autrefois nous invite à tenir pour transitoires des goûts qui paraissent définitifs. Et puisque la possession d’une automobile est aujourd’hui pour tant d’hommes l’ambition suprême, reconnaissons les services incomparables que rend l’automobile, admirons cette merveille de mécanique, souhaitons qu’elle se multiplie et se répande partout où l’on a besoin d’elle, mais disons-nous que, pour le simple agrément ou pour le plaisir de faire du luxe, elle pourrait ne plus être si désirée dans peu de temps d’ici, — sans toutefois être délaissée, nous l’espérons bien, comme le sont aujourd’hui le girofle et la cannelle.

Nous touchons au point essentiel de notre discussion. Nous venons de citer une satisfaction de luxe issue d’une invention mécanique. Beaucoup estiment que c’est l’invention mécanique en général qui a développé le goût du luxe, comme d’ailleurs du simple bien-être. Même, si l’on admet d’ordinaire que nos besoins matériels iront toujours en croissant et en s’exaspérant, c’est parce qu’on ne voit pas de raison pour que l’humanité abandonne la voie de l’invention mécanique, une fois qu’elle y est entrée. Ajoutons que, plus la science avance, plus ses découvertes suggèrent d’inventions ; souvent il n’y a qu’un pas de la théorie