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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/41

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d’autant plus entraînante que la multiplicité et la généralité des maximes vient mieux se fondre dans l’unité et l’individualité d’un homme.

D’où lui vient sa force ? Quel est le principe d’action qui succède ici à l’obligation naturelle ou plutôt qui finit par l’absorber ? Pour le savoir, voyons d’abord ce qui nous est tacitement demandé. Les devoirs dont il a été question jusqu’à présent sont ceux que nous impose la vie sociale ; ils nous obligent vis-à-vis de la cité plutôt que de l’humanité. On pourrait donc dire que la seconde morale — si décidément nous en distinguons deux — diffère de la première en ce qu’elle est humaine, au lieu d’être seulement sociale. Et l’on n’aurait pas tout à fait tort. Nous avons vu, en effet, que ce n’est pas en élargissant la cité qu’on arrive à l’humanité : entre une morale sociale et une morale humaine la différence n’est pas de degré, mais de nature. La première est celle à laquelle nous pensons d’ordinaire quand nous nous sentons naturellement obligés. Au-dessus de ces devoirs bien nets nous aimons à nous en représenter d’autres, plutôt flous, qui s’y superposeraient. Dévouement, don de soi, esprit de sacrifice, charité, tels sont les mots que nous prononçons quand nous pensons à eux. Mais pensons-nous alors, le plus souvent, à autre chose qu’à des mots ? Non, sans doute, et nous nous en rendons bien compte. Seulement il suffit, disons-nous, que la formule soit là ; elle prendra tout son sens, l’idée qui viendra la remplir se fera agissante, quand une occasion se présentera. Il est vrai que pour beaucoup l’occasion ne se présentera pas, ou l’action sera remise à plus tard. Chez certains la volonté s’ébranlera bien un peu, mais si peu que la secousse reçue pourra en effet être attribuée à la seule dilatation du devoir social, élargi et affaibli en