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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/98

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organisée, où les actions humaines sont déjà classées selon leur plus ou moins grande aptitude à maintenir la cohésion sociale et à faire progresser l’humanité, et où surtout certaines forces définies produisent cette cohésion et assurent ce progrès, ils pourront dire, sans doute, qu’une activité est d’autant plus morale qu’elle est plus conforme au bien ; et ils pourront ajouter aussi que le bien est conçu comme obligatoire. Mais c’est que le bien sera simplement la rubrique sous laquelle on convient de ranger les actions qui présentent l’une ou l’autre aptitude, et auxquelles on se sent déterminé par les forces d’impulsion et d’attraction que nous avons définies. La représentation d’une hiérarchie de ces diverses conduites, de leurs valeurs respectives par conséquent, et d’autre part la quasi-nécessité avec laquelle elles s’imposent, auront donc préexisté à l’idée du bien, qui ne surgira qu’après coup pour fournir une étiquette ou un nom : celle-ci, laissée à elle-même, n’eût pu servir à les classer, encore moins à les imposer. Que si, au contraire, on veut que l’idée du Bien soit la source de toute obligation et de toute aspiration, et qu’elle serve aussi à qualifier les actions humaines, il faudra qu’on nous dise à quel signe on reconnaît qu’une conduite lui est conforme ; il faudra donc qu’on nous définisse le Bien ; et nous ne voyons pas comment on pourrait le définir sans postuler une hiérarchie des êtres ou tout au moins des actions, une plus ou moins grande élévation des uns et des autres : mais si cette hiérarchie existe par elle-même, il est inutile de faire appel à l’idée du Bien pour l’établir ; d’ailleurs nous ne voyons pas pourquoi cette hiérarchie devrait être conservée, pourquoi nous serions tenus de la respecter ; on ne pourra invoquer en sa faveur que des raisons esthétiques, alléguer qu’une conduite est « plus belle » qu’une autre, qu’elle nous place plus ou moins