Aller au contenu

Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là, bouleversée de terreur, pendant que l’orchestre, agité d’une façon étrange, fait entendre son rhythme précipité des instruments à cordes, avec sourdines, qu’entrecoupé une sorte de râle des instruments à vent dans le grave, où l’on croit reconnaître la voix des pâles habitants du séjour ténébreux. Cela s’enchaîne sans interruption avec un chœur d’ombres invisibles : « Malheureuse, où vas-tu ? » chanté sur une seule note qu’accompagnent les cors, les trombones, les clarinettes et les instruments à cordes. Les lugubres accords de l’orchestre tournent autour de cette morne pédale vocale, la heurtent, la couvrent quelquefois, sans qu’elle cesse de faire partie intégrante de l’harmonie… C’est d’une rigidité terrible, cela glace d’effroi. Alceste répond aussitôt par un air d’une expression humble, où l’accent de la résignation domine dans une forme mélodique d’une incomparable beauté :

Ah ! divinités implacables,
Ne craignez pas que par mes pleurs
Je veuille fléchir les rigueurs
De vos cœurs impitoyables.

Remarquons ici la sagacité avec laquelle le compositeur a senti qu’à cet air il ne fallait pas de ritournelle, pas même un accord de préparation. À peine les dieux infernaux ont-ils terminé leur phrase monotone :

Tu n’attendras pas longtemps,


qu’Alceste leur répond. Évidemment le moindre retard apporté à sa réponse par un moyen musical quelconque serait là un grossier contre-sens. Cet air, dont je suis parfaitement incapable de décrire le charme douloureux, est encore à reprises, pour sa première partie du moins. Dans la seconde, les paroles se répètent bien aussi, mais avec des changements dans la musique. Les vers suivants se disent deux fois :

La mort a pour moi trop d’appas,
Elle est mon unique espérance !