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Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/197

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dulation, d’ut mineur en mineur, qui produit une impression admirablement pénible à laquelle on est loin de s’attendre, tant la transition est inusitée. Beethoven a souvent passé avec le plus rare bonheur d’une tonique mineure à une autre placée sur le degré diatonique inférieur ; d’ut mineur à si bémol mineur, par exemple. Au début de son ouverture de Coriolan, cette modulation subite donne à sa phrase un bel accent de fierté farouche, presque sauvage. Mais de l’emploi de la modulation ascendante (d’ut mineur en mineur), je ne trouve pas dans ma mémoire d’autre exemple que celui de Gluck. Cet air est de ceux dans lesquels l’emploi d’un dessin obstiné fait de l’orchestre un personnage. Les instruments, on peut le dire, n’accompagnent pas la voix, ils parlent, ils chantent en même temps que le chanteur ; ils souffrent de sa souffrance, ils pleurent ses larmes. Ici, en outre du dessin obstiné, l’orchestre fait entendre une phrase mélodique revenant à chaque instant, qui précède ou suit la phrase vocale dont elle augmente la force expressive. Cette partie vocale est pourtant semée de traits frappants qui pourraient se passer d’auxiliaires. Tel est celui :

Je pousserais des cris que tu n’entendrais pas ;


et cet autre passage encore où la voix, se portant du fa grave au la bémol aigu, franchit brusquement un intervalle de dixième mineure à ces mots : « Me reprocher ta mort » pour finir par une navrante conclusion sur le vers :

Me demander leur mère.

Et cette progression ascendante :

xxxxxxxxAu nom des dieux
Sois sensible au sort qui m’accable,


où le même membre de phrase se répétant quatre fois avec une instance de plus en plus vive semble indiquer les mouvements d’Admète qui se traîne sanglotant aux pieds de sa femme.

Quiconque, ayant le sentiment de ce genre de beautés musi-