Aller au contenu

Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ments son ensemble, sa précision, sa force imposante. Jamais la scène du temple ne fut exécutée nulle part de la sorte. La marche religieuse a été applaudie à trois reprises ; l’auditoire, recueilli, était entièrement absorbé par la contemplation de ce divin morceau. MM. Dorus et Altès ont trouvé précisément le degré de force qu’il faut y donner aux sons graves de la flûte et qui revêtent la mélodie d’un si chaste coloris. Autrefois, quand j’entendis Alceste, le premier flûtiste de l’Opéra, qui n’était ni modeste ni le premier dans son art, comme M. Dorus, détruisait complétement ce bel effet d’instrumentation. Il ne voulait pas que la seconde flûte jouât avec lui, et il transposait, pour mieux dominer l’orchestre, sa partie à l’octave supérieure, se moquant parfaitement de l’intention de Gluck. Et on le laissait faire. Après une telle incartade, il méritait d’être renvoyé de l’Opéra et condamné à six mois de prison.

Il ne faut pas oublier le petit solo de hautbois de M. Cras, dans l’air : « Grands dieux, du destin qui m’accable, » dont il joue seulement un peu trop piano les deux dernières mesures, et moins encore la belle ritournelle de clarinette de celui « Ah ! malgré moi, » exécutée par M. Leroy avec les beaux sons et le beau style dont ce virtuose a le secret.

Les danses gracieuses ont été dessinées par M. Petipa. M. Cormon a su vaincre avec un rare bonheur les difficultés de la mise en scène. Tout y est réglé avec une intelligence parfaite des exigences de la musique, dont les metteurs en scène ne tiennent pas compte ordinairement, et avec un grand goût de l’antique. C’est la première fois que l’on voit à l’Opéra des démons et des ombres assez ingénieusement costumés et groupés pour paraître fantastiques et non ridicules.

Enfin, après cent ans et plus, voici l’Alceste placée presque dans son jour, et admirée et comprise ; et bien des gens répètent depuis lundi le mot de l’abbé Arnault. Quelqu’un disant devant lui qu’Alceste était tombée à sa première représentation : « Oui, répliqua-t-il, tombée du ciel. »