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Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/288

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Au milieu de la montagne se trouve une fontaine qui coule avec un petit bruit ; je suis allé m’asseoir près de son bassin. J’y serais resté jusqu’au lendemain à écouter son tranquille murmure s’il ne m’eût rappelé celui des fontaines du corridor intérieur de la Grande-Chartreuse, que j’entendis pour la première fois il y a trente-cinq ans (hélas ! trente-cinq ans !). La Grande-Chartreuse m’a fait penser aux trappistes et à leur phrase obligée :

Frère, il faut mourir !

La lugubre phrase m’a rappelé que je devais aller le lendemain de bonne heure à Carlsruhe faire répéter les chœurs de mon Requiem, dont le programme de cette année contient deux morceaux. Et j’ai regagné mon gîte pour préparer ce voyage.

« Où a-t-il la tête, allez-vous dire, de faire entendre aux gens de plaisir réunis à Bade des morceaux d’une messe de morts ? — C’est précisément cette antithèse qui m’a séduit en faisant le programme. Cela me semble la réalisation en musique de l’idée d’Hamlet tenant le crâne d’Yorick : « Allez maintenant dans le boudoir d’une belle dame, dites-lui que, quand elle se mettrait un pouce de fard sur le visage, il faudra qu’elle en vienne à faire cette figure-là. Faites-la rire à cette idée. »

Oui, faisons-les rire, me suis-je dit aussi, toutes ces beautés crinolinées, si fières de leurs jeunes charmes, de leur vieux nom et de leurs nombreux millions ; faisons-les rire, ces femmes hardies qui souillent et déchirent ; faisons-les rire, ces marchands de corps et d’âmes, ces abuseurs de la souffrance et de la pauvreté, en leur chantant le redoutable poëme d’un poëte inconnu, dont le barbare latin rimé du moyen âge semble donner à ses menaces un accent plus effrayant :

« Jour de colère, Dies iræ, dies illa.

« Jour de colère, ce jour-là réduira l’univers en poudre.