Aller au contenu

Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
302
À TRAVERS CHANTS

tant pis pour eux ; on les paye pour travailler : ce sont des esclaves.

« Les sorcières de Macbeth ont raison : le beau est horrible, l’horrible est beau. »

Si telle est cette religion, très-nouvelle en effet, je suis fort loin de la professer ; je n’en ai jamais été, je n’en suis pas, je n’en serai jamais.

Je lève la main et je le jure : Non credo.

Je le crois, au contraire, fermement : le beau n’est pas horrible, l’horrible n’est pas beau. La musique, sans doute, n’a pas pour objet exclusif d’être agréable à l’oreille, mais elle a mille fois moins encore pour objet de lui être désagréable, de la torturer, de l’assassiner.

Je suis de chair comme tout le monde ; je veux qu’on tienne compte de mes sensations, qu’on traite avec ménagement mon oreille, cette guenille.


Guenille, si l’on veut ; ma guenille m’est chère.


Je répondrai donc imperturbablement dans l’occasion ce que je répondis un jour à une dame d’un grand cœur et d’un grand esprit, que l’idée de la liberté dans l’art, poussée jusqu’à l’absurde, a un peu séduite. Elle me disait, à propos d’un morceau où les moyens charivariques se trouvent employés, et sur lequel je m’abstenais d’émettre une opinion : « Vous devez pourtant aimer cela, vous ? — Oui, j’aime cela, comme on aime à boire du vitriol et à manger de l’arsenic. »

Plus tard, un célèbre chanteur, qu’on cite aujourd’hui comme l’un des plus ardents antagonistes de la musique de l’avenir, me fit le même compliment. Il a écrit un opéra où, dans une scène importante, la canaille juive insulte un captif. Pour mieux rendre l’effet des huées populaires, ce réaliste a écrit un orchestre et un chœur charivariques en discordances continues. Enchanté de sa noble audace, l’auteur, ouvrant un jour sa partition à l’endroit de la cacophonie, me dit, sans malice