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Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/339

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un finale plein d’élan, où se déploie une belle phrase chantée à l’unisson par les deux amants. Ce passage me frappa le jour où je l’entendis pour la première fois au théâtre de la Pergola. Il était bien rendu de toutes façons. Les deux amants étaient séparés de force par leurs parents furieux ; les Montaigus retenaient Roméo, les Capulets Juliette ; mais au dernier retour de la belle phrase :

Nous nous reverrons au ciel !


s’échappant tous les deux des mains de leurs persécuteurs, ils s’élançaient dans les bras l’un de l’autre et s’embrassaient avec une fureur toute shakspearienne. À ce moment on commençait à croire à leur amour. On s’est bien gardé à l’Opéra de risquer cette hardiesse ; il n’est pas décent en France que deux amants sur un théâtre s’embrassent ainsi à corps perdu. Cela n’est pas convenable. Autant qu’il m’en souvienne, le doux Bellini n’avait employé dans son Roméo qu’une instrumentation modérée. Il n’y avait mis ni tambour ni grosse caisse ; son orchestre a été pourvu à l’Opéra de ces deux auxiliaires de première nécessité. Puisqu’il y a des scènes de guerre civile dans le drame, l’orchestre peut-il se passer de tambour ? et peut-on chanter et danser aujourd’hui sans grosse caisse ? Pourtant, au moment où Juliette se traîne aux pieds de son père en poussant des cris de désespoir, la grosse caisse, frappant imperturbablement les temps forts de la mesure avec une pompeuse régularité, produit, il faut l’avouer, un effet d’un comique irrésistible. Comme son bruit domine tout et attire l’attention, on ne pense plus à Juliette, et l’on croit entendre une musique militaire marchant en tête d’une légion de la garde nationale.

Les airs de danse intercalés dans la partition de Bellini n’ont pas une bien grande valeur ; ils manquent de charme et d’entrain. Un andante pourtant a fait plaisir : c’est celui qui a pour thème l’air de la Straniera :

Meco tu vieni, ô misere.