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Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/103

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feuilles et de fleurs d’hibiscus ? Ce sont deux filles d’honneur de la reine Pomaré ; au bruit du canon, elles ont brusquement interrompu leur partie de cartes commencée dans un coin de la case royale pendant le sommeil de S. M. Elles jettent de furtifs regards du côté de l’église protestante. Pas de révérends Pères ! pas de Pritchards ! On ne le saura pas ! Elles achèvent leur toilette en laissant glisser à terre le maro, vaine tunique imposée à leur pudeur par les apôtres anglicans. Leur beau front est couronné, leur splendide chevelure est ornée de guirlandes, les voilà revêtues de tous leurs charmes océaniques ; ce sont deux Vénus entrant dans l’onde. « O Pagé ! o Pagé ! (C’est Page ! c’est Page !) » s’écrient-elles en fendant comme deux sirènes les vagues inoffensives de la baie. Elles approchent du navire français, et, nageant de la main gauche, elles élèvent la droite en signe de salut amical ; et leur douce voix envoie à l’équipage des ioreana répétés (bonjour ! bonjour !). Un aspirant de marine pousse un cri de… d’admiration à cet aspect, et s’élance du côté des néréides. Un regard du commandant le cloue à son poste, silencieux, immobile, mais frémissant. M. Page, qui sait la langue kanaque comme un naturel, crie aux deux naturelles en montrant le pont de son navire : Tabou ! tabou ! (interdit, défendu). Elles cessent d’avancer, et élevant au-dessus de l’eau leur buste de statue antique, elles joignent les mains en souriant d’un air à damner saint Antoine. Mais le commandant, impassible, répète son cruel tabou ! elles lui jettent une