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Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/106

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pourtant ; et je m’étonne que l’exaspération de ceux-là n’ait encore amené aucune catastrophe.

Plusieurs, il est vrai, cherchent leur salut dans la fuite. Ce vieux moyen réussit encore. Je dois même l’avouer, j’ai eu la lâcheté de l’employer dernièrement. On annonçait je ne sais quelle exécution ; les bourreaux de Paris et leurs aides étaient déjà convoqués. Une lettre m’arrive, indiquant le jour et l’heure. Il n’y avait pas à hésiter. Je cours au chemin de fer de Rouen, et je pars pour Motteville. Arrivé là, je prends une voiture et me fais conduire à un petit port inconnu sur l’Océan où l’on est à peu près sûr de n’être pas découvert. Des renseignements précis m’avaient fait espérer d’y trouver la paix ; la paix, ce don céleste que Paris refuse aux hommes de bonne volonté. En effet, Saint-Valery-en-Caux est un endroit charmant, caché dans un vallon au bord de la mer ; est in secessu locus. On n’y est exposé ni aux orgues de Barbarie, ni aux concours de piano. On n’y a pas encore ouvert un théâtre lyrique ; et si on l’eût fait, il serait déjà fermé.

L’établissement de bains est modeste et ne donne pas de concerts ; les baigneurs ne font pas de musique ; l’une des deux églises n’a pas d’organiste, l’autre n’a pas d’orgue ; le maître d’école, qui pourrait être tenté de démoraliser le peuple par l’enseignement de ce qu’on appelle à Paris le chant, n’a pas d’élèves ; les pêcheurs qui pourraient se laisser ainsi démoraliser n’ont pas de quoi payer le magister. On y voit beaucoup de cordiers