Aller au contenu

Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et un excellent pain bis, sur une table de pierre plantée il y a soixante-dix ans par son père sur une terrasse qui de très-haut domine le val d’Ajol. De là une vue indescriptible.

Le jour où notre petite caravane, composée d’un bouquet (je devrais dire d’un gerbier) des plus gracieuses crinolines de Plombières, s’achemina vers la retraite de Mlle Dorothée, les ânes encore furent de la partie, et, fidèles a leurs habitudes, ils ne manquèrent pas de tourmenter ceux d’entre nous qui allaient à pied. Malgré nos cris, ils finirent par nous quitter tout à fait. Nous étions trois ainsi délaissés, sous la mitraille d’un soleil furieux, au milieu d’une lande nue, sans avoir la moindre idée de la direction qu’il fallait prendre pour arriver au but de notre voyage. Après quelques moments donnés à la mauvaise humeur, nous fûmes tout surpris de ressentir des impressions dont la compagnie des ânes nous eût sans doute privés. Nous marchions en silence, étudiant la physionomie particulière du plateau élevé de la montagne où nous avions été si inhumainement abandonnés, physionomie que n’ont point les grandes plaines inférieures. Ces hauts lieux semblent plus riches d’air et de lumière ; un certain mystère plane sur l’ensemble du paysage ; l’esprit de la solitude l’habite… cette chaumière ouverte et déserte… ce petit étang où les fées doivent venir s’ébattre en secret la nuit… ce bosquet de chênes immobiles… pas de laid animal cornu, malpropre et ruminant ; pas de chien galeux aboyant ;