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Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/184

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À l’énoncé du titre de l’opéra choisi par la débutante, le critique devient plus sérieux et plus froid.

« — Trouvez-vous que j’aie mal fait de prendre ce rôle ?

— Je ne sais si le choix sera heureux pour vous, mais il est fatal pour moi, la représentation de cet opéra me faisant toujours éprouver de violentes douleurs intestinales. Je m’étais juré de ne plus jamais m’y exposer, et vous allez me forcer de manquer à mon serment. Je vous pardonne mes coliques néanmoins, mais je ne saurais vous pardonner de me faire manquer à ma parole et perdre ainsi l’estime de moi-même. Car j’irai, mademoiselle, j’irai vous entendre malgré tout ; je vais prévenir mon médecin. »

La débutante sent le frisson parcourir ses veines à ces paroles menaçantes ; ne sachant plus quelle contenance faire, elle prend congé du monsieur en réclamant son indulgence, et sort le cœur navré. Mais un autre critique influent la rassure. — « Soyez tranquille, mademoiselle, nous vous soutiendrons, nous ne sommes pas des gens sans entrailles comme notre confrère, et l’opéra que vous avez choisi, quoiqu’un peu dur à digérer, ne nous fait pas peur. » Enfin le directeur espère qu’il ne sera pas impossible de réunir prochainement les artistes pour une répétition générale. Le baryton a gagné son procès, sa femme est rétablie, son enfant a fait ses premières dents ; le ténor est remis de sa fatigue, il est même fort engraissé ; le soprano est rassuré, on lui a promis que la débutante ne réussirait pas ; le