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Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/201

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Certains ouvrages, d’ailleurs, sont prédestinés aux palmes du martyre. Il en est peu dont le martyre ait été aussi cruel et aussi long que celui de l’opéra de Guillaume Tell. Nous ne saurions trop insister sur cet exemple offert par Rossini aux compositeurs de toutes les écoles, pour prouver le peu d’autorité et de respect accordé dans les théâtres aux dons les plus magnifiques de l’intelligence et du génie, à des travaux herculéens, à une immense renommée, à une gloire éblouissante. On dirait même que, plus la supériorité de certains grands hommes qui ont daigné écrire pour le théâtre est incontestable et incontestée, et plus la racaille des petits met à insulter leurs ouvrages d’acharnement et de ténacité. Je ne rappellerai pas ici ce qu’on a fait en France de l’œuvre dramatique de Mozart, en Angleterre de celle de Shakspeare, je dirai comme Othello : They know it, no more of that (On le sait, n’en parlons plus). Mais ce que devient peu à peu l’œuvre de Gluck en ce moment dans les théâtres où on la représente encore (j’en excepte celui de Berlin), dans les concerts où l’on en chante des fragments, dans les boutiques où l’on en vend des lambeaux, c’est ce dont la plus active imagination de musicien ne saurait se faire une idée. Il n’y a plus un chanteur qui en comprenne le style, un chef d’orchestre qui en possède l’esprit, le sentiment et les traditions. Ceux-là au moins ne sont pas coupables, et c’est presque toujours involontairement qu’ils en dénaturent et éteignent les plus radieuses inspirations. Les arrangeurs, les instrumenta-