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Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/310

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battu aux approches de l’instant solennel. Vous rirez tant qu’il vous plaira, mais je faillis tomber la face contre terre… Les arbres frissonnèrent, les eaux du canal se ridèrent… au souffle délicieux de la brise du soir… Mutisme complet des canons !…

Un silence profond s’établit après la dernière mesure de la symphonie, silence majestueux, grandiose, immense, que troublèrent seuls l’instant d’après les applaudissements de la multitude, satisfaite apparemment de l’exécution. Et l’auditoire se retira, sans se douter de l’importance des lances à feu, sans regret pour la jouissance à laquelle il avait échappé, oublieux des promesses du programme, et bien persuadé que les deux fusées volantes dont il avait entendu le sifflement et vu les étincelles, étaient simplement un nouvel effet d’orchestre de mon invention, assez agréable à l’œil. Le Charivari, abondant dans ce sens, publia là-dessus une série d’articles éblouissants et de la plus haute portée. Qu’eût-il fait si les lances à feu !… C’est fatal ! j’eusse gagné ce soir-là quelque nouveau grade, un surnom immortel, j’aurais reçu le baptême du feu !… Nouvelle et foudroyante preuve que, si l’on vit souvent des fusils partir qui n’étaient pas chargés, on voit quelquefois aussi même des canons chargés qui ne partent pas.

L’apothéose ainsi terminée pacifiquement, nous laissons sur le bord du canal, et la bouche ouverte, nos pièces toujours pointées et nos artilleurs désappointés. Il fallait courir à l’hôtel de ville, oùi un autre orchestre et un autre chœur m’attendaient pour l’exécution de la