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Page:Bernanos - Œuvres, tome 6 - Un crime ; Monsieur Ouine, 1947.djvu/38

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– Jean-Louis, va-t’en veiller la bécane, garçon. Vois-tu que le type saute dessus et file derrière notre dos.

Le grand Heurtebise haussa les épaules.

– J’ai pas d’armes, dit-il. Viens-t’en avec moi, Claude. Ils s’éloignèrent en grommelant.

La maison grise semblait plus calme que jamais derrière ses persiennes closes. Ils en firent deux fois le tour. L’obscurité était encore trop profonde pour qu’ils pussent relever aucune trace. Sur les marches du perron ils ramassèrent cependant un lacet de cuir.

– Firmin ! murmura le maire à voix basse.

De son doigt tendu, il désignait l’angle extérieur gauche du toit. Une légère spirale de fumée montait dans l’air immobile. Son reflet un peu bleuâtre la distinguait seule du ciel.

– Ça doit venir de la chambre de Madame, reprit-il. Drôle tout de même que son feu ait duré jusqu’au matin. Écoute, mon homme, on va d’abord essayer d’éveiller la gouvernante. Je crois que sa fenêtre est juste au-dessus. Tu n’as qu’à y jeter une poignée de graviers, en douce.

Mais les minuscules cailloux vinrent s’abattre en vain sur les volets de chêne. Quelques-uns tintèrent contre la vitre.

– Pas croyable, dit le garde.

Ils échangèrent un regard déjà soupçonneux. L’avarice de l’ancienne religieuse était la fable de Mégère.

– On verra ce qu’on verra, garçon, déclara le maire. Au point où nous en sommes, il n’y a pas de scandale qui tienne. Tire la cloche. Une, deux… Halte !… C’était assurément le grincement d’un gond rouillé, mais la persienne sur laquelle ils tenaient fixés leurs regards n’avait pas bougé d’un pouce. Le garde étendit de nouveau la main vers la cloche.

– C’est toi, Philomène, dit le maire. Je viens de voir le bout de ton nez, fillette. Et comme la jeune servante ne soufflait mot derrière son volet à peine entrouvert :

– Descends tout de suite que je te dis, répéta-t-il d’une voix menaçante. Descends, au nom de la loi ! Tu me reconnais bien, c’est moi, M. Desmons, le maire. Et voilà Firmin.

– J’vas réveiller Mme Louise.