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Page:Bernanos - Œuvres, tome 6 - Un crime ; Monsieur Ouine, 1947.djvu/46

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– M. le curé t’appelle, dit-elle avec un rire forcé ; mouche ton nez, tâche d’être poli, et ne va pas le fatiguer avec tes contes. Pensez ! après une nuit pareille.

Le nouveau curé de Mégère est dans son lit, enveloppé d’une écharpe de laine noire qui se croise à la hauteur de la poitrine et fait plusieurs fois le tour de ses hanches. Une couverture est jetée sur les jambes et il tient son bréviaire d’une main, tandis que l’autre caresse le front de l’enfant, y dessine vaguement une croix.

– Comment vous appelez-vous ? dit-il.

– Gaspard André.

Ce vous fait monter un peu de sang aux joues du petit garçon. L’instituteur lui-même le tutoie toujours, sauf une fois l’an, à la visite de M. l’inspecteur.

– Votre nom de famille ?

– Gaspard.

– Alors vous devez dire André Gaspard. André, je regrette que vous vous soyez dérangé inutilement ce matin. Peut-être savez-vous que…

– Oui, oui, monsieur le curé, commença l’enfant, les yeux brillants de plaisir sous les paupières baissées.

Mais le prêtre mit un doigt sur sa bouche.

– Chut ! ne parlons pas de ces choses horribles. Hélas ! vous ne vous y intéressez que trop. Il faut tâcher d’écarter tout cela de votre pensée, mon ami.

Ses traits se crispèrent douloureusement, tandis qu’il contemplait le mince visage tourné vers lui avec une sorte de compassion paternelle.

– Regardez-moi, fit-il de sa voix calme, regardez-moi dans les yeux, tout droit, n’ayez pas peur. Lorsque Dieu nous met en présence d’un maître, l’avenir peut dépendre d’un premier regard bien franc, bien net. Sinon, que ne risque-t-on pas ! Nous sommes destinés à travailler ensemble, mon enfant. « Destinés », comprenez-vous ? Le destin – réfléchissez un peu à cela – c’est un beau mot, un mot divin, de ces mots qu’un petit garçon doit comprendre ; les mots divins sont faits à son usage, ce sont des mots innocents.

Ses yeux n’avaient pas quitté ceux du clergeon, qui ne les évitait plus, croyait y voir naître et s’effacer peu à peu, ainsi que dans une eau profonde et pure, chacune de ces paroles dont le