Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/217

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vous donc ? Et pourquoi êtes-vous si triste ? Je ne vous ai pas entendue rire de la journée ? »

Je restai silencieuse, et regardai ma grand’mère. Il me semblait que le malheur dût venir d’elle. « N’êtes-vous pas là ? insista-t-elle. — Si, grand’mère, je suis là, mais je vous prie, ne me parlez pas. »

Elle ne dit mot, posa ses deux bras sur ses genoux et resta ainsi des heures.

Je dessinai cette étrange et fatidique figure.

La nuit venue, je me décidai à m’habiller, après avoir assisté au repas de ma grand’mère et de l’enfant. J’avais à dîner : mon amie Rose Baretta, Charles Haas, un charmant homme d’esprit très distingué, et Arthur Meyer, jeune journaliste déjà très à la mode. Je leur fis part de mes inquiétudes pour ce jour, et les priai de ne pas me quitter avant minuit. « Après cette heure, dis-je, ce ne sera plus aujourd’hui, les gnomes qui me guettent auront manqué leur coup. » Ils accédèrent à mon désir ; et Arthur Meyer, qui devait se rendre à une première représentation, y renonça.

Le dîner fut plus gai que n’avait été le déjeuner. Il était neuf heures quand nous quittâmes la table. Mon amie Rose Baretta nous chanta de jolies chansons anciennes.

J’allai un instant voir si tout était bien dans la chambre de ma grand’mère. Je trouvai ma femme de chambre, la tête enveloppée de linges trempés dans de l’eau sédative. Je m’informai. Et, apprenant qu’elle souffrait de maux de tête horribles, je la priai de préparer mon bain et ma toilette de nuit et lui permis de s’aller coucher.